13/01/2023
Hommage au Professeur José Ragot

José nous a quittés le 30 novembre 2022

José Ragot est né le 28 avril 1947. Il suit les classes préparatoires à l'entrée dans les grandes écoles lors des années universitaires 1964-1965 (Math Sup) et 1965-1966 (Math Spé) au sein du Lycée Henri Poincaré de Nancy. Il intègre ensuite l'Ecole Centrale de Nantes d'où il sort diplômé en 1969. Très attaché aux véhicules automobiles, il décide au cours de sa formation, d’effectuer quelques travaux pratiques sur la stabilité afin de se familiariser à l’automatique. C’est ainsi qu’un ruisseau de la banlieue de Nantes se souvient de l'avoir accueilli, lui et sa Simca Aronde plein ciel, au détour d’un virage mal négocié.

De retour à Nancy, il poursuit ses études au sein du Laboratoire d’Electricité et d’Automatique dirigé par le professeur Alfred Frühling. Il est nommé Assistant à la Faculté des Sciences de Nancy en 1969 et obtient un Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) en 1970. Désormais heureux propriétaire d’une Matra M530 LX, son directeur de laboratoire apprécie peu qu'il gare sa « voiture de gigolo » aux côtés de sa Mercedes (il est vrai qu’avec les skis sur le toit, le vendredi soir, cela relevait de la provocation) !

Tout en enseignant à la Faculté des Sciences de Nancy, il prépare un doctorat de spécialité qu’il obtient en 1973, puis un doctorat d'état (doctorat ès-sciences) soutenu en 1980. Pendant cette période, sollicité par Paul Degoul de l'Ecole Nationale Supérieure de Géologie (ENSG) pour dresser un état de l’art de l’instrumentation et de l’automatisation des processus minéralurgiques, il décide de s'installer, pour quelques mois, le temps d’accomplir cette mission, dans les locaux de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie. Il ne la quittera plus ! Il part alors faire un tour du monde des grandes nations minières : Chili, Afrique du Sud, Mauritanie pour découvrir ces systèmes. A son retour, l'Usine Pilote de l'ENSG se révèle un terrain de jeu propice aux expérimentations. D'abord membre du Laboratoire d'Automatique et de Recherche Appliquée fondé par Michel Aubrun et Claude Humbert, il rejoint naturellement le Centre de Recherche en Automatique de Nancy (CRAN) créé par René Husson en 1980 et il est nommé Maître Assistant en 1981.

Dès ses premiers contacts avec l'industrie minéralurgique, hormis les problèmes classiques de régulation et de commande, José s'intéresse à une méthode très utilisée en minéralurgie pour surveiller et évaluer le fonctionnement des systèmes : la validation (ou, emprunt à la langue anglo-saxonne, la réconciliation) de données. Il développe alors largement ces méthodes et de nombreuses thèses qu'il dirige pendant cette période y sont consacrées.

En 1982, il est l'auteur d'un ouvrage à l'usage des étudiants, co-écrit avec son complice Michel Roesch : Exercices et problèmes d'automatique publié chez Masson, largement inspiré des problèmes rencontrés en minéralurgie. Ce petit livre, communément appelé « le petit livre rouge de JR » servira de référence à de nombreuses cohortes d'étudiants.

Toujours passionné de véhicules, il met cependant en retrait sa passion automobile au profit de sa famille. Il vient désormais au laboratoire en Renault R6 et en Ford Granada Mark II break.

En 1985, il est nommé Professeur des Universités à l'Institut National Polytechnique de Lorraine au sein de l'Ecole Nationale Supérieure de Géologie à qui il restera fidèle jusqu’à la fin de sa carrière. José Ragot dirige alors de très nombreuses thèses, certaines d'entre-elles effectuées en partenariats étroits avec des entreprises : Talc de Luzenac, Socomines, Minemet Recherche, CdF Chimie, Houillères du Bassin de Lorraine. Délaissant progressivement les entreprises minières, il est à l'origine en France du développement d'un corpus de méthodes visant à réaliser la surveillance, la détection et localisation de défauts de systèmes industriels. Les études sont alors conduites avec de nouveaux partenaires comme Total, EdF, Rhône-Poulenc ou Elf Gabon.

Au cours de la décennie 1980-1990, le calcul scientifique s'effectue encore beaucoup à l'aide de "gros" ordinateurs et le plus souvent en langage Fortran (l'IBM PC n'est commercialisé qu'en 1981 au USA et la première version de Matlab ne sortira qu'en 1984). Les outils de simulation disponibles sur ces machines sont peu nombreux et très onéreux. Sous l'impulsion de José, trois logiciels sont développés (en Fortran, initialement sur Solar 16-40, mini-ordinateur de la société Télémécanique, puis porté sur IBM PC). Le premier est le Logiciel d'Exploitation de Données (LED) développé par Gérard Bloch qui permet d'effectuer des analyses statistiques sur un fichier de données (indicateurs statistiques élémentaires, tests d'ajustement, analyse en composantes principales, régression, corrélation, transformée de Fourier, classification, dérivation, définition de fonctions, etc.) en utilisant le principe d'accès aux données comme le fait un tableur (gestion en lignes et en colonnes). Le second, développé par Jean Fayolle et Didier Maquin, est le Logiciel de Validation de Données (LVD) qui implémente les méthodes d'analyse et de validation de données à partir de la description des systèmes au travers d'un graphe (analyse d'observabilité, estimation, analyse de résidus, détection de défauts) et le troisième, le Logiciel de Simulation de Données (LSD) développé principalement par Christophe Loeffler, permet, sur le même esprit que le LED, de travailler sur un fichier de données et de résoudre des systèmes algébro-différentiels fournissant ainsi un simulateur du comportement des systèmes. Ces trois logiciels ont été commercialisés soit comme composants des études réalisées pour le compte d'industriels soit en tant que produits indépendants pour lesquels des formations étaient assurées.

La Ford Granada étant en fin de vie, José s’équipe d’une Citroën CX familiale break 8 places lui permettant de transporter toute sa famille.

En 1988 et jusqu’en 1996, il devient co-responsable du groupe « diagnostic » du Groupement de Recherche Automatique Intégrée du CNRS aux côtés de Marcel Staroswiecki de Lille et Michel Vergé de Paris, puis co-animateur du groupe de travail national de l’action « Sûreté – Surveillance – Supervision », S3 de 1997 à 2003 intégrée au GdR.

En 1989, il assure, aux côtés de René Husson, la vice-présidence du comité d'organisation de la première conférence internationale organisée par le CRAN : IFAC Symposium on Advanced Information Processing in Automatic Control, AIPAC 1989 qui réunit un peu plus de 200 participants à Nancy. Un ouvrage de synthèse de 432 pages : "Validation de données et diagnostic" rassemblant les méthodes numériques de validation de données mais également l'exploitation et l'interprétation des résultats obtenus pour détecter des dysfonctionnements est publié chez Hermès Science Publications en 1990. José Ragot est promu à la première classe des Professeurs en 1990.

Passionné par la transmission des connaissances, José Ragot enseigne au sein de l'ENSG mais également dans de nombreuses autres formations au CNAM, en DEA à Nancy, à Troyes ou à l'ENIM de Monastir.

Fortement impliqué en recherche, il est membre du Conseil Scientifique de l'Institut National Polytechnique de Lorraine de 1995 à 2004 et membre du conseil scientifique de nombreuses instances externes comme l'ESIGELEC de Rouen, l'ENSISA de Mulhouse, le GIP GEMCEA (Groupement pour l'Evaluation des Mesures en Continu dans les Eaux et l'Assainissement) ou l'association AIRLOR pour ne citer que les plus importantes.

A l'aube des années 2000, à l'occasion d'une étude menée pour le compte du GEMCEA en partenariat avec le NANCIE (Nancy Centre International de l'Eau) et la CUGN (Communauté Urbaine du Grand Nancy), José dirige les travaux d'Anass Boukhris et ils s'intéressent à la modélisation de la relation pluie-débit pour le diagnostic de fonctionnement de capteurs. Ces modèles étant non linéaires, ils développent une approche « multi-modèles » issue de l'interpolation de modèles linéaires s'appuyant sur un système à base de règles floues. Les études bibliographiques leur font découvrir les modèles dits de « Takagi-Sugeno » publiés originellement en 1985. L'étude et l'utilisation de ce type de modèle constituent dès lors une part importante des recherches conduites par José Ragot. Les modèles complexes, même non linéaires, étant parfois impuissants à décrire convenablement le comportement des systèmes, la dernière grande thématique abordée par José concerne les méthodes d'analyse de données, en particulier, les approches de type analyse en composantes principales. Les recherches développées ont pour objet la détection, la localisation et l’estimation des défauts des systèmes industriels en n’utilisant que les données recueillies sur ces derniers en l’absence de la connaissance d’un modèle décrivant leur comportement. La qualité de ses travaux de recherche lui valent une promotion à la classe exceptionnelle des Professeurs en 2009.

Ayant désormais élevé avec son épouse Liliane leurs cinq enfants, José peut enfin s’adonner à son plaisir automobile et s’offre une BMW série 3. Il fera ensuite une infidélité à cette marque en faisant l’acquisition d’une Mercedes, mais il reviendra bien vite à BMW pour acquérir un SUV BMW X5.

La production scientifique sur sa carrière est très importante, plus de 150 articles publiés dans des revues à comité de lecture, 350 communications présentées lors de conférences internationales, 4 livres, 12 chapitres publiés dans des ouvrages collectifs, la contribution à la réalisation de plus de 60 contrats industriels (Talcs de Luzenac, Minemet Recherche, Sollac, CDF Chimie, Houillères du Bassin de Lorraine, Lafarge, Vincey-Bourget, Norsolor, Total Compagnie Minière, EdF, Rhône Poulenc, PEC-Rhin, Coreal, Cegelec, Elf Gabon, Sogerem, Mines de Potasse d’Alsace, ESIA Euriware, Thomson, Elf Aquitaine, Alstom, Airlor, SNECMA, PSA, Delphi, ArcelorMittal, etc.), la participation à plus de 300 jurys de thèse ou d’HdR en France ou à l’étranger (Espagne, Algérie, Allemagne, Belgique, Russie, Tunisie).

Au cours de sa carrière, José Ragot a dirigé les travaux de près de 70 doctorants. Beaucoup d’entre eux ont irrigué le système universitaire français et sont devenus à leur tour enseignants-chercheurs, José ayant cette capacité à communiquer sa passion de la transmission des savoirs.

Tous conservent de lui un souvenir ému de cette collaboration. José était toujours particulièrement disponible pour les étudiants qu’il dirigeait. D’humeur enjouée, son enthousiasme à conduire des recherches était communicatif et il savait entraîner avec lui les personnes avec lesquelles il collaborait.

José Ragot fait valoir ses droits à la retraite en 2011 et devient Professeur Emérite. Il ne change pas son rythme de travail et continue à venir au laboratoire assidûment en prenant part à l’encadrement de jeunes chercheurs et en s’intéressant aux thématiques de recherche des plus jeunes collègues.

Le 30 novembre vers 16h, alors qu’il quitte le laboratoire pour regagner son domicile en vélo électrique, il sort du parc de Brabois et traverse l’avenue Paul Muller de Villers-lès-Nancy. Il est alors percuté par un automobiliste et décède sur le coup.

José laisse un très grand vide auprès des personnes qui le côtoyaient quotidiennement. C’est un chercheur de grande valeur et un pédagogue hors-pair, auprès duquel j’ai cheminé pendant trente-cinq ans, qui nous a quittés. Les discussions que j’avais régulièrement avec lui et sa bonne humeur constante vont cruellement me manquer.

 

Vendredi 30 décembre 2022
Didier Maquin