Bruno Rossion obtient une bourse ERC advanced pour mieux comprendre la reconnaissance des visages
Bruno Rossion, directeur de recherche CNRS au CRAN (CNRS-Université de Lorraine) vient d’obtenir un financement ERC Advanced Grant d’un montant de 2,5 millions d’euros pour son projet de recherche HUMANFACE portant sur la compréhension des mécanismes de reconnaissance faciale du cerveau humain. Dispositif puissant pour promouvoir la recherche européenne, le programme ERC permet à des scientifiques, reconnus dans leur domaine sur le plan international, de mener des programmes d’envergure pour 5 ans.
- Présentez-nous votre projet retenu pour un financement ERC ?
Ce projet vise à comprendre le fonctionnement du cerveau humain, l’un des défis scientifiques les plus importants de l’humanité. Ne me demandez pas à quoi ça sert sur un plan appliqué, ce n’est pas le but du projet – même si je suis évidemment convaincu qu’à terme ce type de recherche mènera à des développements technologiques et des avancées médicales importantes. Le projet part de l’idée que la fonction principale du système nerveux central, la raison pour laquelle il est apparu dans l’évolution biologique, est de reconnaître. Le cerveau (comme le système immunitaire) est avant tout un organe de reconnaissance, il doit pouvoir répondre de façon distincte à une multitude de signaux de l’environnement, fondamentalement ambigus, les classer en catégorie, et pouvoir répéter ces réponses (fonction de mémoire). Pour l’être humain, parmi toutes les formes de reconnaissance, la reconnaissance de l’identité faciale est la plus aboutie, la plus complexe : un être humain adulte peut reconnaître des milliers de visages, en un clin d’œil et automatiquement. Cela ne veut pas dire que c’est facile, mais la reconnaissance faciale – qui en intelligence artificielle, contrairement aux idées reçues, n’atteint pas du tout le niveau du cerveau humain - offre donc un modèle idéal pour comprendre le cerveau. Le projet est novateur parce qu’il se base sur l’idée d’une spécificité humaine concernant les mécanismes et circuits cérébraux en reconnaissance d’identités faciales, et sur l’idée que la perception faciale se base sur la mémoire sémantique pour son développement et son fonctionnement. À partir de ce nouveau cadre théorique, je propose une série de sous-programmes de recherche qui viseront à tester cette théorie, notamment avec des enregistrements électrophysiologiques du cerveau, à partir du scalp (EEG) jusqu’à l’enregistrement de neurones unitaires.
- Comment se préparer pour obtenir un financement ERC ?
J’ai eu ma propre manière de me préparer, d’autres seraient tout aussi valables et c’est certainement différent pour les différents niveaux de financement ERC, les disciplines, les stades de carrière… La meilleure préparation je crois c’est quand même de faire de la science en visant l’excellence, parce que (contrairement à l’ANR) vos mérites scientifiques jouent un rôle important, même si ce n’est pas suffisant. Et il faut toujours bien veiller à l’épanouissement des personnes qui travaillent sous votre responsabilité : leur devenir en recherche est un critère important d’évaluation à l’ERC Advanced Grant. Pour le projet en lui-même, il faut avoir la motivation pour le faire. Moi, honnêtement, je n’avais pas envie d’écrire ce projet … mais j’avais très envie d’obtenir des moyens pour atteindre certains objectifs de recherche ambitieux. Ensuite, il faut trouver l’équilibre entre la dose d’arrogance nécessaire pour écrire qu’on va « révolutionner » un champ de recherche et l’humilité qu’on doit conserver parce qu’on sait qu’on aborde des questions très complexes et qu’on ne contribue (peut-être) qu’à une part infime de connaissance dans une communauté scientifique très large. Au moment d’écrire ce projet, le plus difficile pour moi était de me « libérer » psychologiquement : je n’avais pas envie de donner mes meilleures idées théoriques et méthodologiques à mes compétiteurs (qui évaluent le projet) et j’ai dû dépasser ça. Ce projet n’a pas été financé l’an passé mais je ne l’ai presque pas modifié parce que j’étais convaincu qu’avec un autre panel d’évaluateurs et une interview, il pouvait être sélectionné. Enfin, c’était la première année où il y avait une interview en ERC Advanced Grant, et il faut vraiment la préparer de façon minutieuse : répéter énormément, rester dans les (courts) temps impartis, être très didactique. Et anticiper les questions en étudiant les critiques des évaluateurs externes des années précédentes et les spécialités de recherche des membres potentiels du panel.
- Que va vous permettre ce financement ERC ?
De ne plus perdre du temps à répondre à des appels à projets mais de me concentrer sur la science ! Sérieusement, je pense qu’on embête beaucoup trop les scientifiques avec tous ces appels à projets chronophages, très lourds et coûteux sur le plan de la mise en œuvre et de la gestion administrative de procédures d’évaluations qui sont aussi très subjectives. Plutôt que l’ERC, j’aurais pu écrire un livre ou une série de revues qui bénéficieraient bien plus à la communauté scientifique. Donc c’est ce que je vais faire maintenant. Et puis engager de jeunes chercheurs de qualité et un assistant/ingénieur de recherche pour stabiliser le programme de recherche. Même si c’est un financement individuel, je vais le partager avec mes collègues afin de réussir notre projet de recherche collectif en neurosciences cognitives. Enfin, cet ERC va me donner une plus grande liberté intellectuelle, celle de développer mon programme théorique sans contraintes et sans hésiter aucunement à être critique des travaux et cadres théoriques établis - je suis convaincu que c’est nécessaire pour progresser en (neuro)sciences.
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Bruno Rossion est directeur de recherche au CRAN, une unité mixte CNRS et Université de Lorraine qu’il a rejoint en 2018 pour animer un groupe de recherche en neurosciences des systèmes et de la cognition. Il est également en contrat d’interface avec le CHRU Nancy, au sein duquel est localisé son groupe de recherche. Son domaine scientifique est la compréhension des mécanismes cérébraux de la reconnaissance faciale, domaine dans lequel il a publié plus de 250 articles dans des revues internationales. Ses indices de citations le classent parmi les 0.01% des chercheurs les plus influents toutes disciplines confondues (Stanford University ranking, career-long impact : https://data.mendeley.com/datasets/btchxktzyw/2).
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